Tsipras capitule devant la Troïka
L’accord Tsipras-Troïka met la Grèce sous tutelle de l’Union européenne :
combattre cet accord et mettre en avant
une alternative anticapitaliste à l’austérité !
Une semaine après la victoire du NON au référendum en Grèce, Tsipras a accepté un accord bien pire encore que celui rejeté par le peuple grec. Comment en est-on arrivé là ? Quelles perspectives mettre en avant ?
Le contenu de l’accord du 13 juillet
L’accord du 13 juillet part des propositions de Tsipras du 9 juillet (cf. ci-dessous), mais il les aggrave considérablement. Un calendrier accéléré pour le vote des premières contre-réformes a été fixé : d’ici le 15 juillet, le parlement grec devra voter la hausse de la TVA, des mesures sur les retraites, et une règle de réduction automatique des dépenses publiques en cas de « dérapage » par rapport à la cible d’excédent primaire.
Outre les mesures proposées par le gouvernement grec le 9 juillet, le gouvernement devra notamment prendre des mesures supplémentaires sur les retraites, libéraliser davantage le marché des produits (ouvertures le dimanche, déréglementation des professions protégées, etc.), privatiser l’opérateur d’électricité (ADMIE), faciliter les licenciements collectifs. Mais ce n’est pas tout.
Outre des mesures supplémentaires, l’accord du 13 juillet marque surtout la mise sous tutelle de la Grèce :
- un fonds, supervisé par les institutions européennes, sera chargé de privatiser 50 milliards d’actifs publics. Il s’agit d’un dépeçage du pays, sachant que les gouvernements précédents n’avaient privatisé « que » 5 milliards d’actifs. Les trois quart du montant des privatisations serviront à rembourser la dette, un quart seulement pourra servir à l’investissement ;
- l’administration grecque sera « dépolitisée », « sous l’égide de la Commission européenne », une proposition de loi devra être présentée d’ici le 20 juillet ;
- le gouvernement grec devra soumettre et avoir l’accord de la Troïka avant de pouvoir soumettre au parlement des propositions de loi sur les sujets importants ;
- le gouvernement grec devra modifier les lois votées depuis janvier et contraires à l’accord du 20 février (sauf la loi sur la crise humanitaire).
La logique de l’accord est la suivante : le gouvernement devra faire la preuve qu’il respecte ses engagements pour pouvoir obtenir de nouveaux prêts.
Aucune annulation partielle de la dette (« haircut ») n’est accordée : « Le sommet de la zone euro souligne que l’on ne peut pas opérer de décote nominale sur la dette ». Aucune restructuration de la dette (par divers mécanismes) n’est accordée. L’accord stipule simplement que d’éventuelles mesures pourront être discutées plus tard, et seront de toute façon conditionnées à la mise en œuvre intégrale des ordres de la Troïka (BCE-FMI-Commission). En attendant, le gouvernement s’engage à rembourser intégralement et dans les temps ses créanciers.
Cet accord est donc pire que la proposition des créanciers qui a été soumise au référendum le 5 juillet. S’y ajoute en effet une mise sous tutelle humiliante de la Grèce.
Pourquoi Tsipras accepte-t-il aujourd’hui un accord
pire que celui qu’il a refusé il y a quelques jours ?
Depuis son élection, Tsipras a adopté une stratégie qui ne pouvait le conduire qu’au désastre d’aujourd’hui. En effet, en se refusant à envisager toute rupture avec la Troïka, il s’est condamné à céder chaque jour davantage. Par l’accord du 20 février, il renonçait à toute mesure unilatérale, et donc renonçait à essayer d’appliquer son programme. Depuis, la Troïka a asphyxié la Grèce en cessant de prêter à la Grèce alors que Tsipras a continué à rembourser les créanciers. Fin juin, alors même qu’il avait fait une proposition intégrant la quasi-totalité des exigences de la Troïka, celle-ci en demandait toujours plus. Tsipras a alors refusé, mais, au lieu de rompre avec la Troïka, il a appelé à un référendum, en indiquant qu’une victoire du NON lui permettrait de faire plier la Troïka et d’obtenir un meilleur accord.
Malgré la victoire du NON, le rapport de force devenait de plus en plus défavorable pour Tsipras. En effet, la Troïka a asphyxié l’économie grecque en coupant les liquidités à destination des banques grecques. Les banques ont du fermer, les retraits d’argent ont été sévèrement limités, et des pénuries ont commencé à apparaître. En refusant d’envisager tout plan B, et alors que l’économie grecque sombrait, Tsipras ne pouvait que supplier ses bourreaux d’être cléments. Et bien entendu, ils ne lui ont fait aucun cadeau, poussant le bouchon le plus loin possible.
Du référendum du 5 juillet
à l’accord du 13 juillet
Après la victoire du NON dimanche 5 juillet, les choses ont été très vite. Dès le lendemain, Tsipras a organisé l’union nationale autour d’une nouvelle proposition aux créanciers reprenant grosso modo le contenu de ce qui avait été rejeté par les Grecs. Varoufakis a été viré ; on sait désormais qu’il avait proposé de prendre des mesures unilatérales, notamment en réquisitionnant la banque centrale grecque : pas question de contester les décisions de la Troïka, la sanction a été immédiate ! Lundi 6 juillet toujours, une déclaration commune a été signée par Syriza et les partisans du OUI ; et le gouvernement grec a envoyé jeudi soir une proposition coécrite avec les conseillers de Hollande, qui allait bien plus loin que la dernière proposition grecque du 22 juin. Le plan d’austérité grec était évalué à 13 milliards contre 8 milliards précédemment. Les mesures contre les retraités étaient aggravées, les mesures contre les plus riches allégées, conformément aux exigences de la Troïka. Et Tsipras n’a fait de la résistance que sur la réduction des dépenses militaires... !
Tsipras a justifié ce retournement au nom de deux concessions ou promesses avancées par les créanciers. La première est un plan d’investissement de 35 milliards d’euros, en réalité déjà prévu par la Commission Européenne, et qui ne consiste qu’à un déblocage des fonds structurels et agricoles européens actuellement gelés par Bruxelles. La seconde concerne la restructuration de la dette. Aujourd’hui, on ne peut que constater que Tsipras n’a obtenu aucune de ces deux concessions.
Hollande a immédiatement salué le plan de Tsipras dont il était le coauteur... Mais comme on pouvait le craindre, l’Eurogroupe de samedi 11 juillet a voulu profiter de sa position de force pour obtenir des concessions supplémentaires de Tsipras. Dès le début de la réunion, le président de l’Eurogroupe, Dijsselbloem, a expliqué que les les réformes présentées par le gouvernement grec « ne suffisent pas » pour envisager un accord sur une reprise de l’aide internationale à Athènes. Il a été soutenu par le ministre des finances allemand Schäuble. Celui-ci a alors proposé un plan de mise sous tutelle de la Grèce : transfert de 50 milliards d’actifs publics grecs dans un fond géré par l’UE qui les privatiserait pour rembourser la dette grecque ; placement de l’administration grecque sous la tutelle de la commission européenne ; coupes automatiques de dépenses publiques pour atteindre la cible de déficit public. A défaut, Schäuble proposait une sortie de la Grèce de l’euro pour 5 ans. On peut constater aujourd’hui que les propositions de Schaüble se retrouvent pour l’essentiel dans l’accord signé lundi matin. Le seul aménagement obtenu par Tsipras est la localisation du fond de gestion des actifs publics en Grèce... mais ce fond sera bien sous supervision de la Troïka.
Quel positionnement de la gauche de Syriza ?
Dans la nuit du vendredi 10 au samedi 11 juillet, le parlement a massivement autorisé Tsipras à poursuivre les négociations avec la Troïka sur la base de ses propositions. Tous les partisans du OUI au référendum ont voté pour les propositions de Tsipras. Quant aux députés de Syriza, seuls deux ont voté contre, dont la députée Gaitani du groupe DEA. Les députés de la Plateforme de gauche ont voté pour (pour la plupart) ou se sont abstenus. La gauche de Syriza a critiqué le plan de Tsipras, lui a opposé une sortie de l’euro, une nationalisation des banques, et l’effacement de la plus grande partie de la dette... mais a refusé de bloquer la marche vers la signature d’un accord odieux. Les députés de la gauche de Syriza (à part deux d’entre eux) ont donc maintenu leur soutien au gouvernement tout en critiquant les propositions qui allaient mener à l’accord du 13 juillet. Lafazanis, le principal dirigeant de la plateforme de gauche (qui s’est abstenu), a ainsi résumé leur positionnement : « Je soutiens le gouvernement mais je me refuse de soutenir un programme d’austérité ». Et Primikiris, autre dirigeant de la gauche de Syriza (qui a voté pour) a expliqué : « nous avons décidé, en tant que courant, de voter ‘pour’, non pas ‘pour’ le plan en tant que tel mais pour que le gouvernement continue à négocier ». Plutôt que d’organiser immédiatement la résistance, les principaux dirigeants de la plateforme de gauche ont donc laissé faire Tsipras et a contribué à désorienter la base de Syriza. L’enjeu de la formation d’une opposition ouvrière et populaire à la politique d’austérité de Tsipras est d’autant plus crucial qu’Aube Dorée est en embuscade : la formation d’extrême-droite, même si elle a perdu du terrain depuis 2013 dans les couches populaires, ne peut que se targuer de s’être, elle opposée en bloc au parlement au plan Tsipras, qu’ils accusent de « trahir la nation Grecque ».
Depuis l’annonce de l’accord de lundi matin, de plus en plus de députés expriment leur malaise et leur rejet de l’accord, mais l’incertitude demeure sur leur positionnement exact (abstention ou vote contre). Les proches de Tsipras agitent la menace du bâton pour faire rentrer dans le rang un maximum de récalcitrants : Stathakis, le ministre de l’économie, a indiqué que les députés qui ne respecteraient pas la discipline devraient être exclus du parti. Lafazanis a indiqué qu’il ne voterait pas l’accord, sans préciser s’il s’abstiendrait ou voterait contre, tout en indiquant vouloir rester au gouvernement (Kammenos, le dirigeant de Anel, la droite souverainiste, a la même position). Mardi 14 juillet, il appelait Tsipras à revenir en arrière et à rejeter l’accord. Il faut qu’une pression maximale s’exerce pour qu’un maximum de députés de Syriza s’opposent à l’accord et rompent avec le gouvernement. A court terme, un gouvernement d’union nationale regroupant les partisans de l’accord (la droite de Syriza et tous les partisans du OUI au référendum) pourrait alors voir le jour, mais il serait immédiatement contesté car illégitime.
Des secteurs de la gauche de Syriza appellent désormais clairement à s’opposer à l’accord et à la mobilisation. Kouvelakis indique qu’il s’agit d’une « capitulation totale et inconditionnelle » de Tsipras. La jeunesse de Syriza a appelé à la mobilisation lundi soir, et on a pu voir de nombreux jeunes d’Antarsya et de Syriza défiler ensemble à Athènes. La riposte est en marche...
Mobilisation en Grèce et en France contre l’accord Tsipras-Merkel-Hollande !
La trahison de Tsipras soulève l’indignation de nombreux Grecs. D’ores et déjà, des secteurs de Syriza appellent à la mobilisation contre l’accord. C’est aussi le cas du KKE, et de nos camarades d’Antarsya. Vendredi 10 juillet, entre 8.000 et 20.000 manifestants se sont opposés aux propositions de Tsipras. Dimanche soir, un rassemblement plus modeste a eu lieu à Athènes à l’appel d’Antarsya. Des rassemblements ont également eu lieu lundi soir.
La principale confédération du public (ADEDY) appelle à la grève mercredi pendant l’examen de l’accord au parlement grec. C’est aussi le cas du syndicat des travailleurs municipaux (POE-OTA). L’enjeu aujourd’hui est de dépasser tous les sectarismes et que toutes les forces du mouvement ouvrier (KKE, Antarsya, gauche de Syriza, syndicats, comités populaires...) s’unissent pour construire un grand mouvement de mobilisation de masse, de grève pour bloquer l’accord de la honte.
Nous sommes pleinement solidaires de ces mobilisations en Grèce, et nous prenons des initiatives pour construire une mobilisation en France sur la base du refus de l’accord et de la condamnation du rôle central de Hollande. Cet accord doit être rejeté en France et en Grèce. Nous nous efforçons d’organiser des échanges militants avec les militants anticapitalistes de Grèce, de faire venir des militants-militantes grecques et leur faire prendre la parole dans des meetings, dans les réunions syndicales, dans des AG de travailleurs, dans les universités…
Quelle alternative à l’austérité et à la mise sous tutelle de la Grèce ?
Les dirigeants du Front de gauche ont défilé sur les plateaux de télévision pour appuyer la proposition d’accord de Tsipras et ont salué le rôle positif de Hollande. Ils ont ciblé la méchante Allemagne. Ils ont ainsi montré à quel point leur posture anti-austérité était compatible avec leur soutien à des politiques d’austérité terribles, sous prétexte qu’il fallait à tout prix arriver à un accord et que le Grexit serait la pire chose qui pouvait arriver aux Grecs. Pierre Laurent a salué l’accord de la honte, n’hésitant pas à proférer les mensonges les plus grossiers, comme au bon vieux temps. Le parti de gauche critique l’accord, appelle les parlementaires à s’y opposer, mais considère que Tsipras n’avait pas le choix, considérant que le Grexit est la pire solution ! Curieux pour un parti qui estime sur le papier (cf. son texte de congrès) qu’en cas d’impossibilité d’appliquer son programme dans le cadre de l’UE, alors il faut rompre...
Ce qui se passe en Grèce montre l’impasse totale dans laquelle se trouvent les antilibéraux. Faute de vouloir rompre avec le capitalisme et ses institutions, ils se condamnent à appliquer les mêmes politiques que les libéraux. Il est essentiel, en solidarité avec les anticapitalistes grecs, que nous popularisions une voie alternative. Car l’austérité n’est pas une fatalité et la mobilisation pourra se développer d’autant plus que les travailleurs sont convaincus qu’une alternative existe.
Cette alternative passe par la rupture avec la Troïka et avec les institutions du capitalisme. A l’injonction du paiement de la dette, nous opposons l’annulation de la dette. Au pouvoir patronal, nous opposons la nationalisation des banques et des entreprises stratégiques sous contrôle des travailleurs. A la dictature de la BCE, nous opposons la réquisition de la banque centrale et le contrôle des travailleurs sur la monnaie et les échanges extérieurs. La Grèce nous montre que le mot d’ordre « prendre l’argent où il est » n’est pas qu’un slogan, c’est la seule voie pour en finir avec la politique mortifère des classes dirigeantes partout dans le monde. L’ouverture des livres de comptes, l’auto-organisation des travailleurs et des couches populaires en vue de la confiscation de toutes les richesses indispensables à la satisfaction des besoins sociaux, en un mot les grands axes d’un programme anticapitaliste deviennent dans les situations de crise des mesures d’urgence au sens premier du terme. Aujourd’hui plus que jamais, nous devons défendre ces perspectives, pour ne pas laisser le champ libre au désespoir et aux fascistes.
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