La Librairie du Travail (1917-1939)

Quand on évoque les maisons d’éditions militantes, on pense toujours à celle de Maspero, tant elle a marqué de son empreinte l’extrême gauche, puis viennent celles d’aujourd’hui comme La Fabrique, Les Bons Caractères, Syllepse et bien d’autres. Mais qui se souvient de la Librairie du Travail, créée en 1917 par Marcel Hasfeld et dont la devise était « La vie enseigne, le livre précise » ? Retour sur cette expérience qui dura 22 ans.

A l’origine

La Librairie du Travail (LdT) doit tout à un militant, Marcel Hasfeld (1889-1984). Né dans une famille d’artisans, il quitte l’école à 13 ans et exerce alors plusieurs métiers en France et à l’étranger. De retour en France, il milite avec le groupe des Temps Nouveaux, journal anarchiste fondé par Jean Grave, ainsi qu’à la CGT. Le début de la guerre constitue pour lui un tournant : d’abord isolé parce qu’opposé à l’Union Sacrée, il rencontre Pierre Monatte, fondateur quelques années plus tôt de la revue syndicaliste-révolutionnaire La Vie Ouvrière. Autour de la revue se sont regroupés quelques militants restés fidèles à l’internationalisme prolétarien, parmi lesquels Alfred Rosmer et Alphonse Merrheim ; Hasfeld se joint à eux.

Convaincu que l’émancipation des travailleurs ne sera « l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » que par un indispensable travail d’éducation, par la connaissance à la fois du fonctionnement de leurs entreprises et de l’histoire du mouvement ouvrier, Hasfeld se lance dans la création de sa librairie, qui ouvre ses portes le 11 novembre 1917 dans les locaux de La Vie Ouvrière.

Une bibliothèque et une maison d’édition

A son ouverture, la LdT est une bibliothèque de prêt. Aux écrits de Bakounine, Kautsky, Sorel ou Grave s’ajoutent les oeuvres de Baudelaire, Zola ou Flaubert. Dix ans plus tard, à sa fermeture en 1927, la bibliothèque compte 3 300 ouvrages et 200 lecteurs (dont des organisations qui ont voulu créer leur propre bibliothèque). Mais dès le début, l’activité principale de la LdT est l’édition de brochures et de livres. Aux brochures internationalistes se réclamant de la Conférence de Zimmerwald viennent s’ajouter les premiers textes de Lénine écrits après Octobre 1917, ainsi que des textes bolcheviks et des récits de Français témoins de la Révolution russe, notamment celui de Jacques Sadoul. La LdT est aussi le premier éditeur en France de Victor Serge.

En 1922, la brochure Pour la culture prolétarienne par l’écrit est éditée : elle constitue la feuille de route que suivra la LdT jusqu’à sa disparition en 1939. Ce texte préconise la création d’un centre de diffusion ayant pour objectif, entre autres, d’éditer des brochures « de pénétration » à prix modique, de créer des dépôts-librairies par région, département ou ville, de publier des extraits d’ouvrages (ou pousser à leur réédition s’ils sont épuisés, en passant de grosses commandes) qui peuvent éduquer les enfants comme les adultes sur « le plan sentimental, social et technique », ou encore de constituer des archives du mouvement ouvrier. Plus généralement, la LdT se veut la librairie de tout le mouvement ouvrier et non pas d’un parti ou d’une fraction particulière. Cependant, étant organiquement liée au mouvement ouvrier, elle va évoluer en fonction de celui-ci. De 1921 à 1928, elle se rallie au mouvement communiste, Hasfeld rejoignant le PC en 1923. Mais cette expérience sera de courte durée : il est exclu du parti dès 1927.

Si à partir de 1928, la LdT devient une coopérative ouvrière d’édition, elle voit se multiplier les difficultés financières, qu’elle connaît dès le départ à cause notamment de l’absence d’une diffusion massive de ses publications. Mais ces difficultés sont exacerbées par deux autres facteurs liés entre eux. D’une part, la LdT doit faire face à l’hostilité aussi bien des staliniens que de la bourgeoisie. D’autre part, au sein même de l’équipe de la librairie, Hasfeld se retrouve de plus en plus isolé et n’est plus aidé que par sa compagne. En 1939, après 22 ans d’activité, la LdT ferme définitivement.

Malgré les nombreux obstacles qui ont conduit à son échec, l’expérience de la Librairie du Travail n’en reste pas moins essentielle. Au-delà de l’importance de son catalogue (131 brochures et livres publiés en 22 ans), elle pose en effet la question toujours actuelle du rôle de la culture dans l’auto-émancipation du prolétariat, et c’est à ce titre que les révolutionnaires d’aujourd’hui ont tout intérêt à se saisir de cette expérience unique et trop vite oubliée.

Victor Griot



À PROPOS

BARDOUILLET Marie-Christine. La Librairie du Travail. Paris : François Maspero, 1977, 255 p.
Pour la culture prolétarienne par l’écrit. Paris : Librairie du Travail, 1922, 31 p.

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