Ne laissons pas confiner nos colères, organisons-nous et coordonnons-nous !

Des coordinations nationales des assemblées générales interprofessionnelles, comités et coordinations de secteurs se sont tenues de manière dématérialisée les samedis depuis le 21 mars. Alors que l’épidémie de Covid-19, et le désastre sanitaire et social qu’elle engendre, agissent comme de véritables révélateurs de la gabegie capitaliste, rien n’aurait été plus catastrophique que de laisser en plan les cadres de regroupements auto-organisés nés ou consolidés pendant le mouvement contre la réforme des retraites. À moins de penser que la situation dans laquelle nous plonge brutalement l’épidémie nous invite au confinement militant et à l’attente passive d’un retour à des « coordonnées normales » de la situation, il est fondamental que puissent se retrouver pour discuter celles et ceux qui sont persuadés que, même de façon embryonnaire, joindre nos forces et coordonner nos actions est une priorité militante.


La lutte des classes ne fait pas de pause pendant le confinement 


Cela correspond d’abord à un besoin pour toutes celles et tous ceux qui, bien qu’étant confinés quand ils rentrent à la maison le soir, doivent encore tous les jours aller travailler à l’usine, au supermarché, dans les services de nettoyage ou de ramassage des ordures, à la SNCF, à la RATP ou encore à la Poste... Sans parler des millions de salariés du secteur de la santé et du social qui connaissent forcément, et plus que jamais, des conditions de travail dramatiques. Depuis l’annonce du confinement, six salariés sur dix continuent de se rendre sur leur lieu de travail, selon une enquête rendue publique à la fin du mois de mars. 

Mais cela s’avère également nécessaire pour ceux qui sont obligés de « télétravailler », avec les pressions qui vont avec de la part des grands et des petits chefs, pressions habituelles forcément renforcées par la situation d’isolement des salariés bloqués à leur domicile. Cela concerne aussi les centaines de milliers d’enseignants, confrontés à la « continuité pédagogique » à la sauce Blanquer et pour lesquels aucun accord de télétravail n’a été ni discuté ni mis en place dans le cadre juridique du Code du travail. De même, tous les jeunes scolarisés des milieux populaires, qu’ils soient lycéens et étudiants, se heurtent à une injustice renforcée depuis la fermeture des établissements scolaires et des universités. 

Bref, notre classe n’est pas mise au repos, loin s’en faut ! Et c’est maintenant qu’elle a besoin de cadres de discussion et d’organisation afin de faire face le plus collectivement possible à ses problèmes immédiats, mais aussi pour préparer la suite des batailles contre l’ensemble de la politique antisociale de ce gouvernement au service des capitalistes. Ceci d’autant plus que depuis le début du confinement, rien n’est proposé par les directions syndicales nationales pour rendre visible la colère qui s’exprime pourtant à la fois sur les lieux de travail – notamment par l’exercice démultiplié du droit de retrait face à des patrons ou un Etat-patron irresponsables – et dans l’ensemble des classes populaires face à la responsabilité évidente du gouvernement actuel et de ses prédécesseurs dans cette catastrophe. 

Le 16 mars, les directions des organisations syndicales opposées à la réforme de la retraite à points (CGT, FO, Solidaires, FSU, CFE-CGC, FIDL, UNEF, UNL, MNL) ont annoncé, en raison des risques de contamination par le coronavirus, « la suspension jusqu’à nouvel ordre de toutes les actions programmées », notamment la journée de grève interprofessionnelle du 31 mars, et elles ont demandé au gouvernement de suspendre le processus législatif concernant la réforme. Quelques jours après, le gouvernement a annoncé cette suspension, mais certainement pas par crainte de l’intersyndicale… 

Depuis le 16 mars, au niveau national, il n’y a plus eu aucune autre communication de la part de cette intersyndicale dite « combative », rien, silence radio. En revanche, le 19 mars, les confédérations CGT, CFDT, CFE-CGC, FO et CFTC ont sorti un communiqué commun avec les organisations patronales (MEDEF, CPME, U2P), affirmant « le rôle essentiel du dialogue social et de la négociation collective » et appelant « les pouvoirs publics et les entreprises à mettre en œuvre tous les moyens indispensables à la protection de la santé et à la sécurité des salariés devant travailler ». En ne l’évoquant nulle part, ce communiqué a implicitement validé le maintien des activités non strictement indispensables à la vie quotidienne et à la lutte contre la pandémie. Du renoncement au combat à l’union sacrée, il n’y a parfois qu’un tout petit pas. Cette déclaration a d’ailleurs été perçue, selon leurs propres termes, comme « un coup de poignard dans le dos des militants, des travailleurs qui se battent pied à pied contre les employeurs sans scrupules, pour arrêter des activités non indispensables et pour mettre à l’abri les salariés chez eux » par quelques membres de la direction confédérale, quelques fédérations (la Chimie, par exemple) et unions départementales CGT (notamment celle des Bouches-du-Rhône et du Val-de-Marne). 

Ne pas laisser se distendre les précieux liens créés et en développer de nouveaux 


C’est dans ce contexte de renoncement affiché par les principales directions syndicales nationales, mais aussi marqué par la sidération de beaucoup de structures militantes syndicales ou politiques locales, que la 6ème coordination nationale a réuni 90 personnes le 21 mars. Ce jour-là devait normalement se tenir une « rencontre nationale pour la grève générale », rencontre dont la coordination « SNCF-RATP » était à l’initiative, mais que celle-ci n’a finalement pas maintenue. Ce choix n’a pas été le bon : tout plaidait au contraire pour le maintien de cette initiative, même si bien sûr les discussions et les priorités immédiates de celle-ci auraient forcément été percutées par l’actualité liée à la pandémie du Covid-19 et par ses conséquences sociales et politiques. L’urgence nous dictait de ne pas nous dérober à nos responsabilités pour organiser la défense de nos droits, de nos intérêts et de nos vies. C’est ainsi que se sont retrouvés – non pas comme à l’habitude dans les locaux de Sud Rail Paris-Saint-Lazare, mais par téléphone – des étudiants, des travailleurs de la RATP, de la SNCF, de La Poste, du secteur social, de la santé, de l’industrie, de l’éducation et d’entreprises privées ; certains étaient mandatés, d’autres non, représentants de syndicats (Sud ou CGT), de comités de lutte, de coordinations nationales comme celles de l’Éducation nationale ou du travail social, ou d’AG interpros (Hauts-de-Seine, Rouen, Grenoble, Romainville, Lorraine, Gironde, etc.).

Les participantes et participants provenaient de nombreux départements où la mobilisation n’a en réalité pas disparu depuis le 5 décembre. Malgré la frustration de ne pas se voir « en vrai » et les quelques petites difficultés liées à l’utilisation d’un logiciel pour organiser les prises de parole, tous ont plébiscité l’initiative et se sont engagés à la renouveler dès la semaine suivante. Le 28 mars, plus d’une centaine de personnes se sont réunies, puis de nouveau plus de 90 le 4 avril, avec davantage de représentants mandatés ou de structures interpros locales (Lyon, Rennes), d’assemblées de « gilets jaunes » et de nouveaux cadres de regroupement de secteurs professionnels (comme la plateforme des postiers en lutte, qui regroupe des agents de 23 départements et qui cherche à mettre en place une journée où l’ensemble des postiers, particulièrement exposés au risque épidémique, exerceraient leur droit de retrait).

Pas de « jour d’après » à la hauteur de nos espérances sans politique pour tout de suite 


À la fin de chaque coordination ont été votés des appels combinant des revendications et plan d’action immédiats (arrêt de toute activité économique non-vitale, généralisation du droit de retrait en premier lieu, mise à disposition de masques et de tests pour tous, des milliards d’euros pour la santé et pas pour les patrons) et des perspectives un peu plus lointaines (appel à manifester partout le premier samedi qui suivra le déconfinement). Ces appels sont évidemment des points d’appui pour toutes celles et tous ceux qui se battent dès maintenant sur leur lieu de travail pour ne pas y laisser leur peau au profit des patrons et des actionnaires. Ce sont aussi des manifestes qui témoignent du fait que notre rage est intacte, et que nous sommes toujours autant déterminés à mettre fin à l’ensemble des politiques antisociales du gouvernement et des patrons ; à travers eux, nous estimons nécessaire de nous adresser aux organisations ouvrières, notamment syndicales, pour qu’elles appellent le plus rapidement possible à la résistance par la grève. 

Dans la situation ouverte par cet épisode éprouvant pour notre classe qu’est l’épidémie de Covid-19, le fait de chercher à maintenir, développer et construire des assemblées locales interprofessionnelles, de secteurs, des comités de mobilisation étudiants, des coordinations nationales de branche ou interpros, n’est ni plus ni moins que la continuité d’une politique menée lors de la lutte contre la retraite à points, ou même antérieurement pour certains de ces cadres d’auto-organisation nés pendant les mouvement contre la loi Travail, Parcoursup ou la réforme du baccalauréat. Cette politique ne pouvait pas s’arrêter avec le confinement ; elle s’y est adaptée en utilisant des moyens nouveaux de communication, parce qu’elle est au service d’une idée fondamentale : bien que minoritaire, une frange de notre classe – que nous qualifions d’« avant-garde large » – est en train d’accumuler une somme significative d’expériences depuis 2016, et il importe de lui permettre de se doter d’une orientation alternative à celle proposée par les directions syndicales, et d’une boussole politique capable de déblayer la voie pour l’émancipation de notre camp social. Cette politique volontariste menée à une toute petite échelle, celle de notre courant politique et de quelques autres militants syndicalistes « lutte de classe », mériterait d’être portée par l’ensemble des courants et organisations révolutionnaires ; c’est d’autant plus urgent et nécessaire que ce contexte épidémique sert de laboratoire aux classes dirigeantes pour accélérer les politiques anti-ouvrières et la destruction de ce qui subsiste des « conquis sociaux ». 

Marie-Hélène Duverger

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