Épidémie, violences et surexploitation : des combats féministes liés aux combats de classe

Temps partiels imposés, salaires au lance-pierre, charge des enfants et des tâches dites ménagères, mais aussi violences sexuelles et morales, harcèlement pouvant aller jusqu’au viol… En permanence, les femmes doivent lutter pied à pied pour défendre leur intégrité, leurs droits et leur dignité, dans une société capitaliste qui continue de leur faire subir le joug du patriarcat. 

Les femmes restent aux avant-postes de tous les métiers dits d’aide à la personne ou de services, ce dont témoigne le drame sanitaire et social qui se déroule sous nos yeux depuis plusieurs mois. Elles composent la majorité de la fraction de notre classe qui est en première ligne face au Covid-19 aux quatre coins de la planète. 

Dans des hôpitaux débordés par les événements, elles représentent l’essentiel des personnels soignants, elles sont donc au contact direct des malades et courent davantage le risque d’être infectées. Les femmes sont dramatiquement exposées aux épidémies parce que ce sont elles qui, majoritairement, s’occupent des malades. Mais elles représentent également la plupart des « petites mains » des secteurs du commerce ou du nettoyage, ces métiers non confinés, non « télétravaillables ». 

La crise sanitaire et sociale, engendrée par les choix politiques et économiques de la bourgeoisie ne peut qu’amplifier des situations d’oppression et de violences. Des situations qui exposent davantage les femmes aux violences conjugales, mais qui fragilisent aussi leurs droits : au Texas, dans l’Ohio et en Alabama, les IVG ont été classées parmi les actes médicaux non essentiels. 

Les femmes se lèvent… 

En France, en 2019, une femme est décédée tous les trois jours sous les coups de son conjoint. Fin 2018, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a également rappelé qu’une femme est violée toutes les sept minutes, et que seules 10 % des femmes victimes de violences portent plainte ; 80 % des femmes considèrent qu’elles sont régulièrement confrontées à des attitudes et à des décisions sexistes au travail (étude CSEP, 2013) ; 20 % des femmes actives ont dû faire face à une situation de harcèlement sexuel au cours de leur vie professionnelle (étude Défenseur des droits, IFOP, 2014). 

De MeToo à « Nous toutes » en passant par #Balancetonporc, des voix se sont fait entendre et ont dénoncé aussi fort que possible les violences, harcèlements, viols dont les femmes sont victimes. À une échelle planétaire, toutes ces voix ont permis de mettre au grand jour la réalité de la condition féminine, en dénonçant les abus, les mensonges, l’indifférence et le mépris de la police ou de la justice, voire la diffamation et le retournement de situation mettant les victimes dans une position de fautives et de coupables. Depuis plusieurs années, en criant leur révolte face aux violences physiques, les femmes ont occupé le devant de la contestation politique et sociale, en particulier en Espagne, en Amérique du Sud ou en Inde. 

Le 8 mars de cette année, les mobilisations des femmes contre les violences et pour l’égalité des droits ont été massives. À Santiago du Chili, selon les organisatrices, 500 000 manifestantes et manifestants ont marché contre les féminicides, sous le slogan « Ni una menos » (« pas une de moins », c’est-à-dire pas un assassinat de plus). À Madrid, 120 000 personnes ont défilé contre le « patriarcavirus » en portant des masques chirurgicaux. Un peu plus de 6 000 personnes ont manifesté à Bruxelles derrière le mot d’ordre « On s’arrête toutes, on arrête tout, on s’arrête partout ». Par milliers encore au Brésil, à Sao Paulo et dans plusieurs autres grandes villes, les manifestants ont dénoncé avec détermination la politique du gouvernement Bolsonaro. Au Mexique, c’est carrément une grève nationale des femmes qui a été organisée, en premier lieu contre la vague de féminicides qui frappe le pays : 10,5 femmes sont assassinées en moyenne chaque jour au Mexique, contre 7 en 2017. Cette augmentation macabre porte le nombre des victimes à 3 825 pour l’année 2019 ; les autorités ont cependant choisi de ne qualifier de féminicides « que » 1 006 meurtres. 

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.. et les femmes travailleuses se lèvent tôt, et tous les jours ! 

Une actrice qui assiste à la cérémonie des Césars peut « se lever et se casser », selon la formule de la romancière Virginie Despentes ; mais c’est bien plus compliqué quand on est ouvrière sur la chaîne de production d’une usine textile. Pour que l’audace et le courage individuels de femmes médiatiques soient un point d’appui et donnent confiance à l’ensemble des femmes exploitées, opprimées et humiliées partout dans le monde, il faudra plus qu’une pancarte ou qu’un « hashtag » : il faudra que ces combats se propagent aux usines, aux commerces et aux bureaux. 

En France, durant l’hiver 20192020, des femmes conductrices de transports en commun – pourtant ultra-minoritaires dans leur secteur professionnel – ont tout laissé derrière elles pour s’investir totalement dans la construction de la grève reconductible avec leurs collègues hommes. Les femmes de chambre de l’hôtel Ibis Clichy-Batignolles, en grève depuis près de 10 mois, ont porté haut le drapeau des exploitées, comme l’avaient fait il y a deux ans des travailleuses de la société de nettoyage ONET en région parisienne. La tâche est rude, mais c’est dans l’unité de ces combats que les femmes gagneront leur liberté et la justice. La lutte pour l’égalité réelle et pour la dignité des femmes ne pourra qu’être un combat collectif porté par l’ensemble de notre classe sociale.

Armelle Pertus

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