Comment mener des grèves victorieuses ?
Leçons de la grève des camionneurs de Minneapolis de 1934,
par Harry DeBoer
Harry DeBoer (1903-1992) était un militant ouvrier et trotskyste américain. Il est né à Crookston, Minnesota, et a travaillé dans les chantiers de charbon de Minneapolis. DeBoer est devenu l’un des leaders de la grève des camionneurs de Minneapolis de 1934. Membre éminent du Socialist Workers Party, il a été emprisonné avec de nombreux autres dirigeants du SWP en vertu du Smith Act pour s’être opposé à la participation des États-Unis à la Seconde Guerre mondiale. En 1987, DeBoer a écrit la brochure How to win strikes : lessons from the 1934 Minneapolis Teamsters strike, dans lequel il a cherché à diffuser les tactiques utilisées dans la grève de Minneapolis pour aider la nouvelle génération militante.
Les entreprises écrasent de plus en plus les travailleurs. Malgré des profits record, elles exigent concession sur concession, et en obtiennent d’ailleurs la plus grande partie. Quand les syndicats parviennent à arracher des augmentations de salaire, elles sont si maigres qu’elles compensent à peine la baisse du pouvoir d’achat due à l’inflation. Le niveau de vie baisse à vue d’œil. De nombreux travailleurs peuvent à peine survivre et doivent s’endetter.
Les travailleurs qui ne sont pas organisés au sein d’un syndicat sont particulièrement touchés. Les emplois mal payés sont de plus en plus nombreux. Sans la protection des syndicats, les travailleurs inorganisés sont exposés à toutes les attaques possibles: chômage partiel, licenciements, etc. Ils sont à la merci du bon vouloir des patrons, qui n’ont évidemment pas le moindre respect des règles en place.
Un nouvel état d’esprit
Ceci n’est pas une fatalité. L’époque de nos concessions peut et doit arriver à sa fin. Les faits témoignent d’un nouvel état d’esprit au sein des travailleurs : des syndicats notent que des travailleurs demandent du soutien pour s’organiser. Ils exigent de meilleurs salaires, de meilleures conditions de travail et la protection sur le lieu de travail même, qui vient avec la syndicalisation. On ressent un vrai désir de riposte parmi la base. De grandes batailles se préparent et je pressens un grand soulèvement des travailleurs dans un futur proche. Cette brochure est destinée aux dirigeants et aux participants des batailles à venir, car les grèves peuvent être victorieuses.
La grève est toujours un dernier recours, il doit en être ainsi. Mais aujourd’hui, les patrons ne sont prêts à faire des concessions que lorsque les travailleurs sont résolus à se mettre en grève. Les travailleurs doivent être prêts à arrêter leur travail pour que le résultat des négociations soit à la hauteur.
Au cours des dernières années, d’importantes grèves ont été perdues. Les grévistes ont été remplacés par des briseurs de grève, et de nombreuses grèves ont été ainsi défaites. Les travailleurs ont définitivement perdu leur emploi.
Ces expériences en ont mené certains dans le mouvement ouvrier à conclure, à tort, que les grèves ne pouvaient plus être menées victorieusement. « Pourquoi devrions-nous nous battre ? » se demandent beaucoup, en désignant les défaites récentes. Par la suite, les syndicats ont signé des accords désastreux avec les patrons, alors que ces derniers auraient pu consentir à des augmentations de salaires et à de meilleures conditions de travail.
Quelques syndicats ont eu recours, par peur des grèves, à des tactiques alternatives comme des campagnes d’opinion. Certains dirigeants syndicaux ont souvent envisagé cela comme un ersatz à la grève. De telles campagnes peuvent évidemment être très utiles ; mais quand le camp adverse sait déjà que les syndicats ne sont pas prêts à la grève, elles ont bien moins de chances de succès. L’employeur saignera à blanc le syndicat s’il sait que ce dernier ne veut pas recourir à la grève.
La grève exemplaire de 1934
J’ai toute confiance dans la nouvelle génération de travailleurs. Je crois qu’ils se tourneront vers le militantisme ouvrier pour obtenir des conditions de vie décentes, pour eux et leur famille.
La grève des chauffeurs de poids lourds en 1934 à Minneapolis a été un exemple de combat victorieux. Nous avons arrêté tout le trafic routier dans la ville, nous avons dégagé les briseurs de grève des rues, et nous avons remporté une victoire décisive. Nous avons obtenu la reconnaissance des syndicats, notre première convention collective, et des augmentations salariales ainsi que de meilleures conditions de travail.
Les grèves de Minneapolis, Toledo et San Francisco de 1934 ont déclenché une vague d’actions militantes qui ont ouvert la voie à la formation des grands syndicats de ce pays. Ces grèves militantes des années 30 ont forgé les syndicats industriels qui existent aujourd’hui.
Mais au cours des années 50, 60 et 70, les syndicats sont devenus plus complaisants. La bataille sur les piquets de grève se sont calmés. Les syndicats mettaient en place des piquets et s’attendaient à gagner. Cela a marché, mais cette situation a changé dans les années 70 et 80.
Les employeurs sont devenus plus agressifs. Ils ont pris la température et ont vu qu’ils pouvaient briser une grève sans trop de troubles. Les briseurs de grève sont devenus monnaie courante. Il y a des années, personne n’osait franchir un piquet ; aujourd’hui, à travers tout le pays, les travailleurs peuvent tous raconter comment des patrons ont envoyé des jaunes pour briser leur grève.
Une brève histoire de cette grève
Il n’y a qu’une seule façon de gagner une grève : il faut stopper toutes les opérations. S’il s’agit d’une usine, elle ne doit pas pouvoir produire ; s’il s’agit d’une entreprise de transport, rien ne doit pouvoir bouger. Une grève veut dire que tout travail cesse, et que les supérieurs n’ont pas l’autorisation de remettre la machine en route. Il faut également empêcher les briseurs de grève de reprendre le travail des grévistes. Aujourd’hui, on ne peut pas gagner une grève avec une poignée de piquets. Il est nécessaire d’avoir une action de masse dans les rues, menée par les syndicats en grève.
La grève des camionneurs de Minneapolis en 1934 regroupait en réalité trois grèves : la grève des transporteurs de charbon en février, une grève plus large en mai et un renouveau de la grève en juillet, grâce auquel nous avons obtenu la victoire finale. Lors de la grève des transporteurs de charbon, nous n’avions pas assez de piquets au début du débrayage pour fermer tous les chantiers qui étaient concernés. J’ai alors organisé ce qui a ensuite été connu sous le nom de « piquets volants ». Nous pouvions établir un piquet à une entrée, et laisser les camions qui continuaient à rouler en dehors des dépôts de charbon, de façon à ce que la police pense qu’ils étaient libres de rentrer. Nous laissions les camions arriver à quelques blocs du dépôt nous montions dans des voitures, forcions les camions à s’arrêter et à déverser le charbon sur les rues. En quelques jours, tous les camions de charbon avaient été arrêtés. C’était un hiver très froid, les familles et les entreprises avaient besoin de charbon. Les compagnies ont cédé et nous avons gagné.
Farrell Dobbs, un autre jeune leader teamster [camionneur ou routier aux États-Unis, n.d.t] et moi-même avions la tâche de rester dans le local syndical tous les soirs et d’enregistrer les nouveaux membres. Ils vinrent par milliers rejoindre notre syndicat, Teamster local 574 (maintenant appelé local 544). Lorsque les travailleurs voient des dirigeants qui savent se battre et gagner, ils n’hésitent pas à les rejoindre. La victoire de février a considérablement renforcé notre syndicat.
Lors de la grève de mai, la police a engagé de nouvelles recrues armées de bâtons pour faire partir les grévistes des rues. Ils ont tendu des embuscades à certains de nos piquets, battant grièvement des femmes et des hommes. Nous nous sommes armés de bâtons pour nous défendre et, lors d’une grande bataille de rue, nous avons bouté ces aides policières hors de notre terrain. Cet épisode est connu sous le nom Battle of Deputy’s Run.
Lors de la grève de juillet, qui commença lorsque les entreprises violèrent l’accord conclu avec les syndicats, la police ouvrit le feu sur des grévistes non armés. Deux travailleurs furent tués et près de 60 blessés, dont beaucoup touchés dans le dos.
Cette attaque brutale eut l’effet inverse de celui escompté : plutôt que d’affaiblir le syndicat, elle renforça la détermination des travailleurs, et amplifia le soutien de l'opinion publique à la lutte. Finalement, en août 1934, la compagnie accepta un accord, une énorme victoire pour les Teamsters et le mouvement ouvrier dans son ensemble. Cette grève a mis Minneapolis sur la voie de devenir une ville syndicale, incitant à organiser des grèves partout dans la ville, l’État, et dans le Midwest.
Les manuels scolaires
Les manuels scolaires actuels ne sont pas bavards sur l’histoire du mouvement ouvrier. Ils ont peu à dire sur l’histoire des syndicats et les sacrifices immenses des travailleurs pour améliorer ce monde. Les patrons souhaiteraient que les travailleurs oublient leur passé.
Les chefs aiment à dire qu’aujourd’hui tout est différent, que les vieux jours de lutte sont derrière nous, que le militantisme est de l’histoire ancienne. Certaines entreprises montrent aux travailleurs des films à grand budget vantant la « coopération entre partenaires sociaux ». Les travailleurs sont incités à résoudre les problèmes de l’entreprise de concert avec la direction, au sein de « cercles de qualité ». « Travaillez plus vite, produisez plus, et surtout, ne nous luttez pas », voilà la ligne de l’entreprise.
Les entreprises qui font appel à notre bonne volonté de coopération sont les mêmes qui, vont à la table des négociations pour exiger des syndicats des concessions et des baisses des salaires.
En réalité, rien de fondamental n’a changé dans les relations entre travailleurs et patrons. Le chef est toujours le chef. La seule différence : aujourd’hui, il engage des consultants grassement payés pour faire reculer les syndicats grâce à leurs « avis d’experts ». Le « dialogue sociale » est souvent synonyme de sape et de destruction du syndicat.
Les dirigeants syndicaux devraient avoir une réelle compréhension du fonctionnement du système capitaliste. Nos dirigeants de 1934 à Minneapolis savaient que la recherche de profits mène les patrons à essayer de briser les syndicats. Si les dirigeants syndicaux d'alors n’ont pas poussé pour transmettre leurs perspectives révolutionnaires aux syndiqués, ces perspectives – et l’organisation – étaient importantes pour gagner la grève.
Ce que les travailleurs apprirent
Ce que les travailleurs apprirent dans les années 1930, c’est qu’en faisant front collectivement, ils peuvent réussir à repousser les attaques menées contre leur syndicat et conquérir des augmentations salariales ainsi que de meilleures conditions de travail. Cela vaut encore cinquante ans plus tard. Les travailleurs doivent aujourd’hui adopter un point de vue combatif s’ils veulent pouvoir s’imposer.
Des piquets symboliques ne servent à rien. Les syndicats doivent organiser des piquets avec des centaines, voire des milliers, de travailleurs. Il n’y a que de cette façon que les briseurs de grève pourront être stoppés. Certains dirigeants syndicaux disent que ce n’est plus possible aujourd’hui, et qu’au bout de quelques jours, les entreprises iront devant les tribunaux et obtiendront une injonction qui limitera ou interdira totalement les piquets.
Ma réponse : en 1934, nous avons tapissé les murs de leurs injonctions Les patrons trouveront toujours un juge hostile aux syndicats pour faire avaliser de telles choses. L’issue des grèves dépend néanmoins des rapports de force entre capital et travail. Si nos forces sont plus grandes que les leur, nous pourrons gagner.
« Mais si nous ignorons ces injonctions juridiques et que nous organisons encore des piquets de masse, la police nous arrêtera », argumentent ensuite certains dirigeants.
Ma réponse : qu’il en soit ainsi. Qu’ils remplissent les prisons jusqu’à la dernière place. Le syndicat libèrera les travailleurs arrêtés et rappellera des masses de travailleurs sur les piquets, rejoints par des nouvelles forces révoltées contre l’arbitraire des autorités. L'entreprise en grève doit rester bloquées.
La direction syndicale peut faire la différence
Certains dirigeants syndicaux s’apitoient sans cesse sur le fait qu’on ne puisse plus aujourd’hui entraîner la majorité des travailleurs dans la rue. Selon eux, les travailleurs seraient trop passifs. Mais ce n’est pas le cas. Il y eut, au cours des décennies précédentes, de grands mouvements de grève aux États-Unis, au cours desquels des milliers de travailleurs et leurs soutiens se sont retrouvés devant les usines. C’est un écho du nouveau militantisme en train d’émerger. Mais il y eut encore plus de cas où les travailleurs auraient été prêts au combat, et où la direction syndicale a refusé de bloquer l’usine au dernier moment. Les jaunes continuent et la grève est perdue. Les dirigeants syndicaux doivent prendre des mesures fondamentales : organiser des piquets de masse et empêcher les briseurs de grève d’entrer sur les lieux de travail.
« Comment amener des milliers de travailleurs dans les rues pour de telles actions ? » demanderez-vous. Bonne question. D’abord, cela nécessite une direction syndicale prête à prendre des mesures concrètes. Lorsque l’on n’a pas de combattant à la tête de son syndicat, on en élit de nouveaux. Il faut avoir une liste de candidats qui croient en la démocratie ouvrière et qui soient prêt à s'affronter aux patrons. Ensuite, il faut développer une stratégie globale. Aucune brochure ne peut expliquer tous les problèmes et solutions pour gagner une lutte ; je me limite seulement à présenter ici une méthode et les facteurs clefs qui devraient faire partie de tout plan d’ensemble.
Des grèves victorieuses nécessitent la participation et le soutien de tout le mouvement des travailleurs. Lorsque l’on est parvenu à constituer un front large de soutien, cela peut déjà provoquer suffisamment de pression pour pouvoir éviter une grève. Quand les patrons ont l’impression qu’ils devront se confronter à l’ensemble des travailleurs d’une ville ou d’un canton, ils y repensent à deux fois avant de courir le risque d’une grève. Les dirigeants syndicaux locaux doivent entamer une campagne d’information sur leur combat et leurs revendications pour obtenir le soutien de députés issus du mouvement ouvrier, de représentants ouvriers de la ville ou de l’État : demandez-leur d’aider et de donner leur entier crédit à la lutte.
Lors d’un conflit syndical, il est également nécessaire de penser plus grand. Avant la fin de la période de préavis marquant le début de la grève, il faut toujours organiser un ou deux rassemblements de masse et inviter des dirigeants syndicaux et des travailleurs connus à s’y exprimer. Des tracts et des affiches de qualité permettront de faire largement connaître ces initiatives, auxquelles l’ensemble des syndicats doivent être invités, et pas seulement la branche concernée. Pensez à tous les aspects organisationnels. Assurez-vous que les femmes et les minorités y jouent un rôle important.
Dans certaines de nos organisations ouvrières dans les années 30, certains militants étaient en charge d'organiser les chômeurs que nous avons regroupés en contingents de chômeurs au sein de notre syndicat pour qu’ils puissent nous rejoindre sur les piquets. Cela doit être reproduit aujourd’hui. Si les chômeurs sont organisés de notre côté, il sera bien plus dur aux patrons de les utiliser comme briseurs de grève. Ils constituent le groupe que les employeurs approchent en premier pour cela.
Publiez des annonces dans les grands journaux et la presse ouvrière, pour expliquer les revendications du syndicat et lister les soutiens déjà existant. Envoyez des représentants de votre syndicat aux rassemblements et manifestations d’autres secteurs et exposez-y vos combats. Veillez à ce que des dirigeants ouvriers connus écrivent des lettres à tous les syndicats, dans lesquelles ils se montrent solidaires de votre combat, appellent à la participation active à vos actions, y envoient leurs militants, et vous rejoignent sur les piquets en cas de grève.
Pensez grand ! Et ensuite, pensez encore plus grand !
Faites en sorte que les travailleurs de votre usine et de votre ville portent des badges avec des slogans de soutien. Veillez à ce que des articles sur vos revendications soient publiés dans la presse ouvrière et les autres médias. Organisez des conférences de presse avec des dirigeants syndicaux et des soutiens connus. Présentez au public des collègues syndiqués qui peuvent à peine joindre les deux bouts grâce à leur salaire actuel.
Une grève doit être bien organisée ; la grève de Minneapolis de 1934 en est un cas d’école. Le livre Teamster Rebellion de Farrell Dobbs en relate l’entièreté, et je vous en recommande fortement la lecture.
Nous avions une commission pour nourrir les grévistes et leur famille ; nous servions des repas chauds quotidiennement grâce à des dons de nourriture d’agriculteurs et d’épiciers qui sympathisaient avec notre cause. C’est devenu une façon de soutenir les grévistes et également un moyen d’étendre la solidarité parmi les travailleurs.
Le comité de grève avait un docteur et une infirmière à disposition au QG de grève pour les travailleurs qui auraient été blessés sur un piquet. Cela s’est avéré extrêmement utile.
Pour la première fois dans le pays, nous avons publié un quotidien de grève : The Organizer. Pendant une grève, il faut toujours compter sur le fait que les grands médias propatronaux essaieront et réussiront à déformer les choses. Il vous faut donc votre propre publication pour formuler vos revendications et rapporter la vérité sur la grève. Un journal de grève quotidien peut avoir une fonction importante pour mobiliser les grévistes et leurs soutiens, éclairer politiquement l’opinion publique et gagner par là de nouveaux alliés.
En fait, plus tout cela est pensé avant la grève, et plus la solidarité du reste du mouvement ouvrier est grande, et plus faible est la probabilité que l’on soit forcé de recourir à la grève. L’entreprise pourra voir que vous être prêts, elle pourra constater que le rapport de force est de votre côté, et sera moins encline à affronter les syndicats.
Il faut évidemment s’occuper particulièrement des travailleurs qui font face aux difficultés financières les plus graves. À cette fin, une commission peut être créée pour régler les choses avec les agents de recouvrement ou les sociétés de prêts hypothécaires pour anticiper tous les problèmes. Les travailleurs doivent être rassurés sur ce point, et il faut que le sort des plus démunis soit une préoccupation principale lors d’une grève. J’ai assisté à des débrayages où la situation de ces travailleurs a été négligée ; ils ont cherché à passer à travers les piquets. Une vraie tragédie ! Ces mêmes collègues seront les soutiens les plus déterminés du syndicat, si le syndicat prend le temps de se préoccuper d’eux. Et c’est le travail d’un syndicat..
Comment pouvons-nous « activer » notre syndicat ?
« Comment doit-on donc activer notre syndicat ? » pourriez-vous demander. « Nombreux de nos membres ne viennent même pas aux réunions syndicales. Toutes ces idées sont bien bonnes, mais nos membres ne participeraient pas. »
La colonne vertébrale de tout syndicat devrait être la démocratie syndicale. Plus un syndicat est démocratique, plus il est fort. En règle générale, les membres ne se rendent pas aux réunions syndicales car ils ont de toute façon le sentiment que les décisions sont prises depuis longtemps. Les rencontres doivent être ouvertes et se dérouler de façon démocratique. Toutes les décisions syndicales importantes doivent seulement être prises en conclusion d’une large discussion et d’un vote des syndiqués. Si vous avez des dirigeants qui ne respectent pas cela, vous devez les démettre de leurs fonctions et en élire d’autres. Des dirigeants qui montent au front et respectent la démocratie syndicale créeront des conditions pour que la base soit elle-même active dans des proportions grandissantes. Les dirigeants syndicaux doivent toujours discuter ouvertement de leur stratégie avec les membres du syndicats. Les militants de la base doivent être encouragés à prendre des responsabilités, dans une stratégie globale. Discutez, planifiez, votez ! Plus vous constaterez que votre syndicat se démocratise, plus vous trouverez de syndiqués prêts à participer aux décisions qui impactent leur vie.
Au Teamster local 574 nous avions élu des coordinateurs qui représentaient les travailleurs des différents secteurs. Nous avions une commission élue qui se réunissait deux fois par mois et écoutait tout travailleur avec une doléance particulière. Nous avions également élu un comité de négociations. Et lors de la grève des conducteurs de 1934, nous avions un comité composé de 100 personnes, qui passaient au crible les propositions et prenaient des décisions ; ces décisions étaient ensuite rapportées à l’ensemble des travailleurs. Ce processus démocratique a renforcé la grève et a permis aux dirigeants de rester en contact avec les souhaits des syndiqués.
Certains dirigeants syndicaux rejettent ce style ouvert de démocratie syndicale. Lors d’une grève ou de négociations, ils plaident pour le maintien du plus grand secret. J’ai souvent constaté que derrière cet argument se cache la volonté de négocier un compromis insatisfaisant, dans le dos des travailleurs. Mais les décisions d’un syndicat doivent être prises par les travailleurs syndiqués et les revendications doivent être votées par eux. Ce sont également eux qui décident du moment où une revendication est retirée de la table des négociations par les syndicats. Plus un syndicat est démocratique plus les travailleurs s’y impliquent. Moins il est démocratique et moins les membres suivent la direction lorsqu’elle est poussée à la confrontation par les patrons.
Bloquer l’entreprise !
Il y a plusieurs façons de mettre à l'arrêt une entreprise. Nous ne pouvons pas toutes les exposer dans cette petite brochure, mais il existe quelques méthodes essentielles.
Des piquets massifs : ils doivent être présents dans chaque grève. Rien que par notre nombre nous pouvons empêcher que l’entreprise fonctionne.
Des sit-in de blocage devant les usines : en cas d’une présence policière massive c’est souvent la meilleure tactique. Quelques centaines ou milliers de personnes se positionnent devant les portes ou passages importants. Cela peut entraîner des arrestations de masse, le syndicat obtiendra votre libération et vous pourrez recommencer.
Des sit-in (occupation) dans l’usine : cette tactique a été développée dans les années 30 et constitue encore une méthode efficace de grève. Il est alors extrêmement difficile aux patrons de mettre dehors les travailleurs alors qu’ils sont assis à l’intérieur.
« Fink drives» : Les « finks » est un autre mot pour briseurs de grève. Quand les entreprises en embauchent pour remettre les machines en route, on rassemble les travailleurs les plus combatifs pour rentrer dans l’entreprise et mettre dehors les briseurs de grève.
Des manifestations et des rassemblements de masse : ils permettent de rassembler les gens et d’augmenter leur conscience, pour les gagner plus tard au renforcement des piquets et à d’autres actions.
Parler avec les travailleurs
Carl Skoglund, qui est ensuite devenu président de notre section, était l’architecte de la grève de 1934 à Minneapolis. Il avait participé à de nombreuses luttes ouvrières. Une de ses jambes lui jouait des tours, et je me souviens de lui, passant son bras autour de mes épaules pour rejoindre nos appartements la nuit avant la grève de février 1934.
Il me dit alors : « Harry, au début, beaucoup de travailleurs pourraient bien ne pas comprendre ce pour quoi nous nous battons. Il nous faut leur parler, leur expliquer ce qui est en jeu avec cette grève. Il faut leur donner une chance de comprendre. Ne les ignore pas avant de leur avoir donné une chance. »
Un des premiers chauffeurs non syndiqués que nous avons arrêtés le jour suivant lui a donné raison. Nous avions suivi le camion hors de l’entrepôt à charbon et l’avions rejoint quelques blocs plus tard. Nous avons expliqué au conducteur les raisons de notre grève et nos revendications. Il s’est mis en colère, nous disant que ses patrons lui avaient menti à notre sujet. Il a sauté de son camion et nous a aidés à descendre sa cargaison de charbon sur la route ! Le soir, il s’est rendu au local syndical et nous a rejoints. Et après la grève, il est devenu un délégué loyal.
Il y a une grande leçon à tirer de cela. Il est essentiel d’expliquer aux travailleurs les raisons de votre grève. Et cela vaut également pour les travailleurs qui sont embauchés comme briseurs de grève. Dans de nombreux cas, si vous parlez avec ces travailleurs, ils se retrouveront de votre côté. Si ce n’est pas le cas, c’est une autre histoire. Dans cette société qui nous confronte à tant de propagande antisyndicale, de nombreux travailleurs adoptent une attitude hostile envers les syndicats. Mais si nous parlons avec eux et que nous expliquons correctement nos préoccupations, ils changent souvent de camp.
Cette ouverture d’esprit doit également être présente envers ceux de vos collègues quotidiens, qui ne sont pas convaincus dès le début de la nécessité d’actions militantes ; ils rejoindront le mouvement, quand ils en verront les résultats concrets.
Organiser les inorganisés
Nombreux des plus importants combats à venir seront menés par des travailleurs inorganisés. Les organiser syndicalement exigera beaucoup d’efforts. De nombreux syndicats tendent aujourd’hui à se concentrer principalement sur les travailleurs avec un bon revenu ; les dirigeants syndicaux oublient ainsi parfois les propres origines de leur syndicat.
La même approche de masse - nécessaire à la victoire des grèves - doit être mise en place pour l’organisation syndicale. Nous devons organiser des rassemblements dans lesquels l’ensemble des syndiqués est impliqué, et s’efforcer de nous assurer du soutien du reste du mouvement des travailleurs.
Lors de négociations collectives, les patrons n’hésitent pas à recourir à l’intimidation, pour pouvoir mettre les travailleurs à genoux. Les entreprises menacent les syndicats qui exigent des salaires plus élevés de délocaliser dans des pays où la main d’œuvre est moins chère et où les syndicats sont plus faibles. Il s’agit souvent de menaces creuses, en particulier quand la main d’œuvre est très qualifiée. Mais les syndicats doivent être capables de réagir rapidement à de telles manœuvres. Si les patrons délocalisent, les syndicats doivent riposter et faire clairement comprendre : « Nous enverrons des militants syndicaux dans ce nouvel endroit, et nous y organiserons les travailleurs. Si vous délocalisez à l’étranger, nous mettrons tout en œuvre à travers nos syndicats internationaux pour que les travailleurs s’organisent là-bas aussi. Où que vous alliez, nous vous suivrons. Nous ne permettrons pas que vous exploitiez nos travailleurs. Il serait donc bien plus sage de présenter une offre raisonnable dès maintenant à la table des négociations, car il n’en sera pas mieux ailleurs pour vous. »
Un engagement très clair dans l’activité d’organisation est le meilleur moyen de garantir de bonnes conventions collectives sur les lieux de travail. Au Local 571, nous avions un mot d’ordre : « chaque membre est un organisateur ». Les routiers incitaient ainsi les travailleurs à s’organiser partout où ils passaient dans le Midwest. C’est une devise que nous devons adopter aujourd’hui aussi.
Plus les travailleurs sont syndiqués, plus il est difficile aux patrons de trouver des briseurs de grève. Et cela aidera à faire du syndicat une force plus puissante pour le progrès et la justice sociale.
Le syndicat doit être le champion de ceux qui sont tout en bas de l’échelle, des pauvres, de ceux qui souffrent. Nous devons nous occuper des parents isolés, des enfants qui n’ont pas assez à manger, des handicapés, des victimes de discriminations. Nous devons être le porte-parole des plus âgés, qui ne s’en sortent pas avec leurs maigres pensions.
En combattant pour tous ceux-là, nous pouvons de nouveau rendre nos syndicats forts. Leur cause devient notre cause quand nous combattons pour des salaires et des conditions de travail dignes.
Harry DeBoer (1987)
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Harry DeBoer (gauche) à Mexico avec Léon Trotsky, James Bartlett, et leurs épouses, 1940. |